Que nous dit la polémique autour de Sylvain Tesson, qui a accompagné et presque occulté le Printemps des poètes, qui s’achève ce 25 mars ? Probablement bien des choses, que Monsieur Morris, dans sa nouvelle chronique, passe à la moulinette de son espiègle mauvais esprit… Vraiment mauvais ?
Le 22/03/2024 à 11:58 par Nicolas Gary
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Publié le :
22/03/2024 à 11:58
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L'Humeur de Morris est une chronique satirique, proposée par ActuaLitté. Certainement pas en vers ni contre tous, lui-même revient sur la polémique autour de Sylvain Tesson, parrain du Printemps des poètes...
ActuaLitté : Ah, Monsieur Morris, quel plaisir de vous retrouver. J'imagine que vous devez être d'humeur maussade, puisque le printemps est à nos portes.
Monsieur Morris : Le printemps ! T’oses encore utiliser ce mot, après le scandale qui a entouré le Printemps des Poètes et le choix du brave Sylvain Tesson comme porte-étendard ? Moi, des clous ! J'ai fait une croix sur le printemps. J'ai fait une croix sur les poètes. Et j’ai aussi fait une sur Tesson… tandis que d’autres le clouaient sur la croix.
En fait, j'en prendrais bien une pour taper sur tout le monde.
ActuaLitté : Je suis surpris, je m'attendais à ce que la plume de l'explorateur adulé des médias vous soit chère...
Monsieur Morris : Ah, mais elle l'est, gamin. Tesson, c'est un des tout grands de notre temps qui a compris qu'il ne suffit pas de bien écrire de nos jours : faut surtout être photogénique, bon client devant les caméras et porter le costume trois-pièces en haut des rochers pour les reportages de Paris-Match et les portraits de Libération. C'est la splendeur française qu’il exporte, avec un style reconnaissable au premier coup d'œil !
Comme l'autre avec ses grands chapeaux. Comment est-ce qu'elle s'appelle déjà ?
ActuaLitté : Amélie Nothomb ?
Monsieur Morris : C’est ça. Tiens, souviens-toi du regretté Jean d’Ormesson, tout bronzé avec de jolies quenottes bien blanches. C'est important de bien présenter. C'est pour ça qu'ils étaient furieux, tous les petits poètes avec une tronche pas Instagrammable et une voix chevrotante qui fait saigner des oreilles quand elle passe sur Inter.
La vendetta contre notre nouveau Captain Iglo témoigne juste de leur rancoeur : ils aspirent tous à leur quart d’heure de popularité, à se voir déjà en haut de l’affiche, sous les projecteurs, consacrés parrain ou marraine ! Ou parraine ou marin… Mais ça préfère couler le navire qui les rejette !
ActuaLitté : Mais alors, qui aurait-il fallu trouver en tête d'affiche ?
Monsieur Morris : Tête d'affiche, tête de gondole… T’en as pas marre, gamin, de participer à cette mode affligeante où l’on personnifie tout et n'importe quoi ? Cette passion malsaine qui te colle des stars à tire-larigot pour défendre les causes même les plus nobles ?
Sûr que discuter du fond, ça demande plus qu’une belle gueule !
Alors, mouais… bon, qu’on paye George Clooney et Jean Dujardin pour faire les pitres et vendre ces aberrations écologiques que sont les capsules de café, ça m’agaçait déjà passablement. Mais a-t-on vraiment besoin d'une bimbo pour convaincre le peuple de l'utilité de l'UNICEF ? De Patrick Bruel pour les chiens-guides...
Ce que je crois, moi, c'est que la poésie n'a pas besoin de tête d'affiche. La publicité et la poésie, voilà deux mondes qui n’ont rien à partager, ou alors, une « rencontre fortuite sur une table de dissection entre une machine à coudre et un parapluie ». J’ai le mal d’aurore, moi, en ce printemps…
ActuaLitté : On ne devrait alors pas faire de pub pour le Printemps des Poètes ?
Monsieur Morris : Bon sang qu’il est niais. Gamin, Le Printemps des Poètes, ce n'est pas rien – la preuve c’est une idée de Jack Lang pour ouvrir sur des littératures plus confinées qu’une période de Covid.
Découvrir et écouter cette matière vivante que sont les mots – aujourd’hui pas même reléguée en division d’honneur ! Je trouve ça magique que, quelques jours par an, on puisse entendre ce qu'on n’entend jamais. Mais puisque c'est pour faire entendre l'inédit, autant utiliser des méthodes qui le sont aussi.
En revanche, il ne t’a pas échappé, Môssieur le Journaleux, que le choix des figures de proue qu’on exhibe ces derniers temps, on les pioche de plus en plus à tribord. Chez ceux qui ont des idées sentant encore plus le renfermé que les miennes...
ActuaLitté : Nom de Zeus, Monsieur Morris, vous virez à gauche ?
Monsieur Morris : On verra quand elle aura ressuscité… Pour le moment, avec une Najat Vallaud-Belkacem qui, pour nous libérer des écrans, veut rationner internet, je me dis que le socialisme a dû choper un vilain virus…
Nan, ce que j’observe, c’est ce phénomène étonnant : jadis, pour plaire au pouvoir en place, les égéries étaient des personnalités avec des positions proches de celles des élus.
On a franchi un cap là. Parce que ce n'est plus aux édiles qu'on veut plaire, c'est aux lecteurs de Valeurs Actuelles, aux spectateurs de CNews et d'Hanouna, aux électeurs du RN.
Alors on va carrément chercher la coqueluche du Figaro pour représenter la poésie. Et demain, on demandera à Christian Clavier de présider les Rendez-vous de l’Histoire à Blois ! Déguisé en Jacquouille ? À Sardou de chanter Piaf pour l’ouverture des JO 2024 à Paris, histoire d’enterrer Aya Nakamura ?
« Malheureux le pays qui a besoin de héros », faisait dire Bertolt Brecht à Galilée.
ActuaLitté : Le problème n'est donc pas nouveau et je sens poindre une solution…
Monsieur Morris : Non ! Ce qui est nouveau, pour faire des coups de pub c'est le recours systématique à des personnalités dont la seule légitimité est d’être connues et aguicher le chaland par ailleurs peu empressé, mais sollicité de toutes parts. Ça m’afflige quand, même le Printemps des Poètes rassure le peuple avec un Tesson, sans bouteille : « Non, lecteur, la poésie n'est pas progressiste, pas dérangeante, elle ne chatouille ni ne grattouille, elle ne froisse ni n’interroge. Elle charme… »
En un mot, mon brave, elle divertit. Et détourne de l'essentiel.
ActuaLitté : Sylvain Tesson en parrain aurait servi de manoeuvre de diversion ?
Monsieur Morris : Ah ben enfin, tu y arrives ! Elle était où, la poésie, quand on a polémiqué sur ce parrainage, puis sur la tribune anti-parrain, puis sur les pétitions pro-parrain, puis sur la controverse sur les réactions aux soutiens par les opposants et inversement, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on ne sache plus qui défendait quoi !
De la bisbille dont les médias raffolent.
Avec des arguments qui n’avaient rien de très poétique, d’ailleurs : ça dégainait allègrement sous la ceinture, des deux côtés.
Alors, oui, ça t’avait plus la gueule de bagarre devant la poissonnerie du village d'Astérix que d'une conversation entre Apollon et les Muses. Pas très inspirés, les défenseurs et autres pourfendeurs : tous les projecteurs braqués sur ce chasseur de fées, et aux escoubilles les textes, les fulgurances, la musique, le rythme, exeunt la poésie et ses bouillonnements.
Sylvain Tesson en tête d'affiche, je ne dirais pas que c'est un échec : ça n'a pas marché.
Et ne me parlez plus du printemps, ni celui des poètes ni celui de la météo : ils ne passeront pas l’hiver.
Et pour la petite histoire, on se souviendra que l’Américaine Jessye Norman, sur une proposition de Jack Lang, avait chanté La Marseillaise en 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française. La soprano et l’ancien ministre de la Culture avaient été vivement critiqués… notamment par un certain Bruno Mégret, alors numéro 2 du Front National, qui y voyait une « volonté de déracinement ethnique, volonté de métissage culturel ».
Et d’ajouter alors : « Le 14 juillet, c’est la fête de la nation française et […] la France n’est pas noire. [Le choix] systématique des figurants noirs [ou le fait que soit] noire la cantatrice pour interpréter la Marseillaise [est la preuve de la] volonté de déracinement ethnique, volonté de métissage culturel […], les Noirs ont rendu le monde plus perméable [ils ont été] mis à l’honneur […] comme agents privilégiés du cosmopolitisme. » (voir ici)
Et pourtant, cette interprétation, dans une robe aux couleurs du drapeau tricolore, fut visionnée par quelque 800 millions de personnes à travers la planète. Au pied de l’obélisque de la Concorde, la chanteuse lyrique, mondialement connue, finit par mettre tout le monde d’accord… Comparaison n'est pas raison, certes, mais certains schémas ont la peau dure.
Crédits photo : qimono CC 0
4 Commentaires
Patrick
22/03/2024 à 12:57
Je n'ai peut-être pas bien compris, non à la pub mais oui à la pub par Jessye Norman et à Aya Nakamura...
Oui à tout !
Vincent Gimeno-Pons
23/03/2024 à 12:20
Il serait temps de re-parler (voire de parler) de poésie. Faut-il créer des affaires à scandale pour que l'on évoque enfin ce mot ? aucun média (ou si peu) n'évoque quasi jamais la poésie. Alors s'il vous plaît : ou bien vous nous foutez la paix avec cette histoire, ou bien vous vous penchez sur la poésie d'aujourd'hui. Mais y'en a marre qu'on nous balance toujours cette histoire en oubliant l'existence de ce genre !
Michel
23/03/2024 à 19:29
De son vivant, Van Gogh n'a vendu qu'une seule toile, dans un petit village près de Arles. Sans son frère, qui le finançait, et surtout sans sa belle-sœur, qui en assuré une large publicité, son oeuvre nous serait définitivement inconnue.
Alors F..k l'anticapitalisme primaire !
Lorrain Frémion
27/03/2024 à 16:03
Bruno Mégret ce poète maudit...
Michou ce voyant...
Tesson cet astre brulant...